Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A poil, Nessus !
22 février 2016

La liberté de certains

A y regarder de plus près, cette «liberté», dont l'Etat a gratifié certains hommes au bénéfice de la philosophie, n'est pas du tout une liberté, mais seulement un métier qui nourrit son homme. L'encouragement à la philosophie consiste donc simplement en ceci qu'il existe du moins un certain nombre d'hommes qui, par le moyen de l'Etat, sont mis en mesure de vivre de leur philosophie en faisant de celle-ci leur gagne-pain. Les sages anciens de la Grèce, par contre, n'étaient pas appointés par l'Etat. Tout au plus leur rendait-on parfois honneur, comme à Zénon, par l'attribution d'une couronne d'or et d'un tombeau en céramique. Je ne saurais dire, d'une façon générale, si l'on sert la vérité en montrant la route qu'il faut suivre pour vivre à ses dépens, car tout dépend de l'espèce et de la qualité de l'individu que l'on invite à s'engager sur cette route. Je pourrais parfaitement imaginer un degré de fierté et d'estime de soi qui pousserait un homme à dire à ses prochains: prenez soin de moi; pour ma part, j'ai mieux à faire, car j'ai à prendre soin de vous. Chez Platon et chez Schopenhauer une pareille générosité de sentiment et l'expression de cette générosité n'étonneraient pas, c'est pourquoi, eux, du moins, pourraient être philosophes d'Université, comme Platon fut à l'occasion philosophe de cour, sans pour cela abaisser la dignité de la philosophie. Mais Kant fut déjà, comme nous autres savants avons coutume d'être, plein d'égards et de soumission dans ses rapports avec l'Etat. La grandeur lui faisait défaut. A telle enseigne que si la philosophie d'Université était une fois attaquée, il ne saurait la justifier. S'il existait des natures qui, elles, soient capables de la justifier—des natures telles que Platon et Schopenhauer,—je craindrais pourtant une chose, c'est qu'elles n'en eussent jamais l'occasion, parce que jamais un Etat n'oserait favoriser de pareils hommes et les placer dans de telles situations. Pourquoi donc? Parce que tous les Etats les craignent et qu'ils ne favoriseront jamais que les philosophes dont ils n'ont pas besoin d'avoir peur. Car il arrive parfois que l'Etat ait peur des philosophes d'une façon générale et c'est précisément lorsqu'il en est ainsi qu'il cherche à attirer à lui d'autant plus de philosophes qui peuvent faire croire qu'il a la philosophie de son côté. Car alors il aura de son côté ces hommes qui portent le nom de la philosophie et qui pourtant n'inspirent nullement la peur.

Publicité
Publicité
Commentaires

10507853_623850871057369_1753011925_n

Publicité
A poil, Nessus !
Publicité